Pendant longtemps, quand l’hiver ou le mauvais temps m’enfermaient à l’abri de l’atelier, à l’écart du monde extérieur, j’ai peint des vases de fleurs ou des paniers de fruits, des scènes de cellier à la Cézanne, comme on en voit dans les beaux livres d’art ou les magazines de déco, garnies d’ustensiles d’un autre âge, de corbeilles d’osier, de cruches de grès et de nappes blanches… (0)
Difficile de sortir des sentiers battus par un entourage aux goûts classiques, quand il vous félicite inlassablement de si bien reproduire une imagerie où il trouve ses propres références. Pour beaucoup de gens, vous êtes encore un bon peintre quand on peut voir la différence entre une pomme et une poire.
Enfant, j’étais fasciné par ces caisses de bois blanc imprimé, ces natures, mortes, usuelles, frappées d’indications de fret et de calibre qui faisaient la réclame pour telle marque de fruits made in Spain ou Marocco, ces couleurs solaires d’une orange et demi montrant une tranche aux quartiers juteux venues affronter nos matins froids, ce vert d’une feuille ou deux né de l’accouplement approximatif du jaune et du bleu.
L’écrin était prosaïque et avait le charme des petites choses que vous vous croyez seul à remarquer, à l’arrière des étals de maraîchers, comme autant de tableaux involontaires empilés sans recherche, répétant à l’infini leurs motifs sérigraphiés sur tous les marchés du monde. (1)
L’idée de rendre à l’état d’œuvre unique un objet manufacturé, existant à quelques millions d’exemplaires n’était pas neuve et vient du Pop’Art. On n’est pas loin de la « Campbell’s Soup can » de Andy Warhol.
J’ai trouvé mes premiers modèles entre deux poubelles. Un mot m’avait frappé : Filosofo. Que pouvait-il y avoir de philosophique à consommer de la « navelina » ? A coup sûr, les cageots et leurs impressions jouaient la dérision !
Dix kilos de clémentines avaient suffi à rendre à l’emballage son sens originel et sa prime jeunesse. (2)
La série de tableaux qui en a découlé juxtapose deux faÃ\{TEXTEons de travailler :
L’une décline la gamme du jaune au rouge, avec des tons d’orange rompus de bleu pour faire contraster les tonalités. La surface est toute en épaisseur, dans des pâtes qui imitent le contact granuleux d’une peau d’agrume. C’est le portrait de fruits, traité en fonction de la personnalité de chacun, comme s’il s’agissait de visages. Elle est également censée représenter la nature, le côté vivant et sauvage. (3)
L’autre est lissée au couteau, au ras de la trame de lin pour rendre l’aspect du bois raboté. Les lettrages et les motifs sont tracés au pinceau fin avec des couleurs fluidifiées à l’huile de manière à créer le moins de relief possible. Les contours de la caisse sont sertis de traits bleu de Prusse, les agrafes sont rayées à la pointe dans la peinture. Pour que le cageot occupe l'espace du tableau, il faut que ses extrémités aillent toucher ou presque les bords de la toile. Une fois encadré, il paraît ainsi enchâssé, tordu dans un cadre de bois. C’est le côté domestiqué, industrialisé. Peu de fibres ou de nœuds sont visibles dans le bois blanc, comme si ce qui lui restait de nature allait disparaître peu à peu. (4)
L'ombre violet pâle de la caisse donne un sentiment de fraîcheur, opposée aux couleurs jaunes-orangé de l’ensemble. (5) Ph. D.
0/ Pommes, chou-fleur, cruche et dame-jeanne.
Huile sur toile (50/40cm), mars 2000.
1/Clémentines.
Huile sur toile (110x70cm), avril 2003. Coll. Province de Hainaut, Mons (B)
2/Cageot 1.
Huile sur toile (40x40cm), mars 1998. Lieu inconnu. Autrefois coll. Allal Ben Jelloun, Mons (B)
3/Cageot 2.
Huile sur toile (61x61cm), mai 2004. Coll. Nathalie Morales & Didier Clerghe, Carcassonne (Fr)
4/Cageot 3.
Huile sur toile (41,5x61,5cm), avril 2006. Coll. Liv & Bruno Gerard, Los Angeles (USA)
5/Cageot d’oranges sous un cageot de citrons.
Huile sur toile (59x59cm), mai 2006. Coll. Michel Lefèbvre, Mons (B)
Liens :
http://www.drouot-cotation.org/accueil/index.php?Mode=2&id=18963
http://www.listoo.com/web/drumelph/
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